Résumé de la conférence "Formuler la couleur dans le verre" donnée à Sars Poterie
lors des 6 ème "Journées de la Perles de Verre", 14 Septembre 2013 (révision du texte:  2016)
- par Laurent Dapolito -

1/ Ce que nous apprécions dans le verre
2/ Rappel des constituants du verre
3/ Les oxydes colorants les plus utilisés dans le verre
4/ Analyse de verres de couleur
5/ Notions de science

6/ Notre vision des couleurs, et ses limites.
7/ Le verre à l'or ou à l'argent
8/ Le verre à l'uranium
9/ L'effet "dichroïque"


1/ Pourquoi apprécions-nous cette matière, particulièrement dans les créations artistiques ?

Toutefois il faut tempérer: certains fabricants font des verres contenant des  métaux lourds qui sont à boycotter, comme le "cristal"*, ou des verres à colorants métaliques toxiques (chrome, cadnium, cobalt,...) ou des aditifs pas vraiment bio (baryum, antimoine, arsenic,...)

[* Le "cristal" c'est à dire le verre au plomb (contenant plus de 24 % de PbO) est un verre "basse température" qui se stabilise assez mal, car il relargue une dose mesurable de plomb dans les aliments lorsqu'il est utilisé dans les arts de la table. Sous le lobbie de la "tradition" française, la réglementation tolère un seuil de contamination "acceptable", un peu comme avec l'amiante jadis. Ce verre, historiquement réputé pour son affinage efficace (=belle transparence), est totalement obsolète aujourd'hui. En effet, à l'observation visuelle: le cristal ne peut plus être différencié du verre ordinaire. Alors quel est l'intérêt? N'achetez rien qui soit en "cristal", ce n'est pas du tout écologique]




Vitrifiant:La silice (l'oxyde de silicium) est l'élément principal du verre commun (autour de 70%), tel que le verre à vitre ou verre à boire. Toutefois on peut faire des verres "spéciaux" ou "expérimentaux" avec d'autres éléments. Ceux-ci peuvent être appelé "verre" du moment qu'ils puissent être translucides ou transparents, avec une structure moléculaire amorphe ("amorphe" est le contraire de cristallisé)

Fondant: un verre sans fondant existe, exemple: le verre de silice pur (appelé abusivement "quartz"). Mais par conséquent sa température de fusion est très (trop) élevée (il ne se ramolli pas en dessous de 1300°C). Les fondants sont des oxyde alcalins qui s'intercale entre les molécule de silice, et qui "assouplissent" les liaisons chimiques, abaissant le point de fusion.

Stabilisant: Dés que l'on a mis un fondant, le verre devient sensible aux attaques chimiques les plus simples. Donc on rajoute un produit qui renforcera sa stabilité chimique. Un verre sans stabilisant est un verre qui se décomposera, et même qui peut se dissoudre totalement dans l'eau. Exemple: la solution de silicate de calcium était anciennement appelé "verre soluble" (ou "liqueur de cailloux"), (utilisée comme colle réfractaire par exemple).

Affinant: Lors de sa fabrication (de la fusion de tous ses constituants) le verre doit subir un brassage efficace pour être homogène. Cela se fait principalement grâce à l'ajout de matériaux se vaporisant dans le bain de fusion (= bullage), et une température maximum de liquéfaction (1400°C dans les four à bassin). Mais cette forte température rend le matériaux chimiquement très réactif; il faut maitriser le degré d'oxydation de certains constituants, on ajoute donc des additifs pour doser l'équilibre d'oxydoréduction.



3/ Les oxydes à effet colorant dans le verre les plus utilisés : Exemples de teintes lorsqu'ils sont utilisés seul (sans mélange):


Anecdote: l'émail des potiers est également du verre. La coloration des émaux se calcule de la même façon que pour le verre, mais plus fortement (à cause de la faible épaisseur de l'émail). Toutefois il y a deux contraintes supplémentaires: la possible réaction avec le matériaux support (donc le tesson céramique), c'est à dire réaction chimique et chromatique, ainsi que la compatibilité avec celui-ci (adhérence,  tension de surface, coefficient de dilatation,...)



4/ Analyse comparative de verres Effetre, 2013

Echantillons issus de baguettes pour travail à la flamme du fabricant Effetre et leur mise à l'analyse par Spectrométrie de fluorescence X (irradiation + analyse de la rétroactionn lumineuse).
Egalement, ajout du transparent incolore très limpide du fabricant Reichenbach, pour comparaison.


Résultats: verres transparents


PS: la cas du Rubino oro : taux d'or non détecté (trop faible pour la machine), les valeurs d'or précisées ici sont la fourchette de concentration réputée utilisée.

Résultats : verres opaques



Comparaison : Transparent / Opaque 



5/ Notions de science (interaction lumière / matière):

Un photon (la lumière) arrivant sur du verre peut être :

Réfléchi de manière diffuse (d'où une couleurs renvoyées, d'aspect mate), ou de manière spéculaire (effet de brillance, éclat, et/ou effet miroir.

Absorbé (la couleurs de ce photon est soustraites à la vue. Exemple: les feuilles d'arbre sont vertes car elles absorbent le rouge et le bleu, mais réfléchissent le vert).

Transmis et réfracté (donc sur verre transparent, la réfraction est la cause de l’effet loupe sur forme concave, par exemple).

Transmis et dispersé (effet de prisme ou d'arc-en-ciel : décomposition de la lumière. C'est utilisé par les pampilles taillées des lustres par exemple)

Transmis et diffusé (effet opalescent, translucide: le photo est perturbé dans sa trajectoire à travers le verre)

Diffracté (= interférence d'ondes, mais c'est hors sujet ici et/ou trop technique à aborder)

Toute la richesse de cette diversité d'effets participe à notre affinité pour cette matière.

   

Le photon est une particule sans masse qui propage une vibration électromagnétique. Cette vibration reste de même valeur tout le long du parcours. Donc un photon du spectre lumineux ne peut pas changer de couleur au cours de son parcours.

Vibration lente = photon de faible énergie (exemple : couleur rouge, infrarouge, onde radio).

Vibration rapide = photon de haute énergie (exemple: couleur bleu, ultra violet, rayon X, rayon gamma)

Longueur d’onde = longueur parcourue par le photon en 1 oscillation (électromagnétique). Unité : le mètre et plus commodément le nanomètre (nm) dans notre cas.

L’œil humain est sensible à des photons de 400nm (distinguée comme étant bleu) à 800nm (distingué comme étant rouge).

Les photons peuvent réagir avec les nuages électroniques des atomes (mais pas avec leur noyau), et plus particulièrement (dans le cas de la lumière) avec les électrons des couches supérieures (les orbitales les plus extérieures).

En arrivant sur un nuage électronique, le photon peut être absorbé: alors il transmet son énergie à un électron. L'électron saute vers une orbitale plus élevé qui est stable. Cette énergie acquise sera dissipée progressivement par émission de photons infra rouge (chaleur), et l'électron retombera à son orbitale d'origine, ou bien cette énergie sera transmise par voisinage d’atome, Mais si l’électron ne trouve pas d’orbitale stable avec l’énergie donnée par ce photon, alors l’électron retombe immédiatement à son état initial en émettant un photon identique (= de même longueur d’onde (couleur) que le photon arrivant, et parfois même direction) ; ainsi, dans ce cas, le photon (= la couleur) est renvoyée (cas du verre opaque) et/ou transmise (cas du verre transparent), et nous pouvons la voir.

     

La couleur d'un objet est donc le résultat de l'interaction de la lumière avec sa matière. Au fait, quelle matière ?

Ci-dessous, rappel des principaux éléments entrant dans la composition du verre, repérés dans le tableau de Mendeleïev (j'ai effacé les autres éléments). Allez, un petit effort de souvenir de vos cours de classe du lycée.

En bas de ce tableau, vous voyez  la forme des nuages électroniques concernés par les interactions avec les photons (la couche électronique extérieure de l'atome). Dans les deux premières colonnes (du tableau de Mendeleïev) sont localisés les atomes ayant un effet fondant sur le verre; ils ont une orbitale S, et sont sans effet sur la couleur. A coté, dans les colonnes roses-saumon: c'est le secteur des "métaux de transition" (c'est le centre du tableau) et d'ailleurs on notera donc que ce sont seulement leurs orbitales de type "d" qui ont un effet filtrant de la couleur (orbitales dessinées dans le cadre rose). La partie droite du tableau concerne le reste: éléments vitrifiant, stabilisant et oxydo-réducteur, avec leur orbitale de type "p" sans effet sur la couleur (ou presque).


6/ Notre vision des couleurs et ses limites.

Si l’œil humain est effectivement sensible à des photons de 400 à 800 nm, il ne peut toutefois envoyer que 3 signals au cerveau= rouge et/ou vert et/ou bleu. Et ce, grâce à 3 sortes de « cônes » récepteurs (presque tous situés sur  la Fovéa de l’œil, (voir image de gauche ci-dessous)) . Par conséquent le cerveau invente arbitrairement les autres couleurs. Et oui !

spectre de lampe led

  Image ci-dessus au milieu: voici un graphique simplifié de la force du signal nerveux que l'œil envoie au cerveau (valeurs verticales), pour chacun des photorécepteurs (bleus, rouges et verts), en fonction de la fréquence du photon reçu (valeurs horizontales)

  Image ci-dessus à droite: les trois couleurs primaire, et la couleurs que le cerveau voit ou imagine si on les mélanges.
Ainsi, nous ne distinguons pas de différence entre un objet qui émet du vrai jaune (= des photons de 590nm) et un objet qui émet du rouge (680 nm)  + vert (510 nm) mélangé.

  Démonstration : votre écran d’ordinateur n’émet pas de photons jaunes mais à la place : des pixels rouges + des pixels verts (et aussi des bleus mais très peu éclairé dans ce cas) . L'image de droite est un zoom de votre écran, large de 3 milimètres à l'origine. Par calcul et interprétation des signaux nerveux de l'œil, votre cerveau invente le jaune.

   Autre exemple: la lumière blanche: l'œil humain peut croire que la lumière d'un néon est blanc comme  le soleil , malgré qu'il lui manque beaucoup de couleurs dans son spectre lumineux. (voir image de gauche)


Certains animaux sont capables de discerner plus de couleurs
"primaires" que nous humains, ou bien sont capables de voir également dans l'infrarouge (comme des serpents)  ou l'ultra-violet (comme l'abeille ou certains oiseaux), car ils possèdent des cônes récepteurs différents. Le stomatopode (la crevette mante), possède 12 types de cônes (elle voit donc avec 12 couleurs primaires), en plus d'avoir 6 yeux qui détecte de l’infrarouge à l’ultraviolet ainsi que la polarité de la lumière. Cet animal distinguerait  parfaitement le jaune, du mélange rouge + vert, que les humains voient identiques parceque nous sommes plus limité dans nos capaticé.

 


Anecdote: Un arc en ciel est la décomposition du spectre solaire visible (dans des gouttelettes d'eau). Chaque couleur qui en est issue est une longueur d’onde précise et ne sont pas mélangées.  C'est pour cela que nous n'y voyons pas toutes les couleurs. Pour discerner tous les teintes  possibles (donc avec des mélanges de couleurs), on se repère en utilisant un diagramme de chromaticité (triangulaire rouge-vert-bleu). Ce diagramme (image du bas) permet aussi d'attribuer une coordonnée graphique/informatique à une couleur.

 

En peinture, l’artiste mélange les teintes (système soustractif des couleurs complémentaires). Mais dans le domaine du verre, le mélange des couleurs peut provoquer des réactions chimiques. Un exemple bien connu est le mélange du verre ivoire avec du turquoise: une réaction immédiate fait noircir ces verres à leur jonction (image de droite). On suspecte que c'est le souffre contenu dans l'un (l'ivoire) qui est incompatible avec la recette de l'autre verre. C’est un exemple de difficulté que les fabricants de verre doivent surmonter pour étendre les palettes de couleurs.


Concernant les deux images ci-dessous, petit rappel des couleurs primaires:


couleur soustractive addivive    


7/ Le verre à l'or ou à l'argent

Le verre à l’or. Appelé aussi Cranberry glass chez les anglo-saxons, Pourpre de Cassius en France, ou Rubino oro pour le verre Italien Cette coloration est due à des agrégats d’atomes d’or sphériques, de taille nanoscopique (5 à 60 nm, soit un diamètre d'une longueur de 150 atomes en moyenne). Ils apparaissent vers 600 à 700°C si cette température est maintenue suffisamment pour que les ions d’or s’agglomèrent en bougeant très légèrement pour réorganiser leur liaison électronique avec leurs semblables uniquement. Chacun de ces agrégats d’or acquiert une masse d’électrons libres et solidaires (comme pour tout métal conducteur d’électricité). Lorsqu’un photon arrive sur un atome d'or: il est absorbé s’il peut exciter (faire vibrer) tous les électrons libres de l'agrégat d'or. Cette mise en vibration est possible ici grâce à la très faible quantité d’électrons libres solidaires, qui sont entourés d’un isolant (ici le verre). En terme scientifique : c’est l’effet Plasmon. Dans notre cas, seuls les photons  rouges ne véhiculent pas l’énergie permettant ce mécanisme ; ils sont renvoyés, d’où la couleur observée. Si les agrégats d’or sont trop gros (cause : recuisson à la flamme trop longue, ou dosage d’or initial trop fort dans le verre), alors la masse d’électrons libres est trop lourde et sa mise en vibration devient impossible ; la jolie couleur rouge-rose disparaît alors.
Pour ce phénomène, la concentration d’or dans le verre doit être comprise entre 0,005% et 0,07% (en masse) , 20 à 300 ppm. Ce qui, en effet, est très peu.

Le plus ancien et célèbre exemple de réalisation en verre à l’or est la coupe de Lycurgue (IVe siècle après J-C, d’origine romaine), conservée au British Museum ; (mais ce verre contient aussi de l’argent et un peu de cuivre).

En France, il semble que c’est Bernard Perrot (verrier italien venu s’installer à Orléans, au 17ème siècle) qui a relancé/redécouvert cette technique du verre pourpre à l’or.

Cette coloration par effet Plasmon fonctionne également avec l’argent. Sauf qu’avec lui : les nanos cristaux peuvent prendre des formes diverses en fonction de la recuisson. Et cela permet de filtrer différentes couleurs en fonction de ces formes. D’où parfois l’aspect polychrome des verre à l’argent travaillé à la flamme.

     



8/ Le verre à l'uranium

Verre appelé aussi Vaseline glass (chez les anglo-saxons), ou Ouraline en France. C’est un verre jaune fluorescent contenant 0,2 à 2% d’uranium. Ce type de verre fut produit à partir de 1830 (vaisselle décorative essentiellement), mais il est de production assez confidentielle aujourd’hui. Son élaboration laisse supposer un risque de contamination pour les ouvriers et un bilan écologique critiquable. Toutefois, le verre fini, lui, est très peu radioactif et il reste très stable en travail à la flamme. 

La fluorescence 

Dans le cas du jaune à l’uranium : le verre se laisse traverser par la lumière solaire blanche (=toutes les couleurs) sauf le jaune, qu’il renvoie. Mais à cela vient s'ajouter une deuxième émission de photons jaunes , provenant cette fois de l'ultraviolet, que l’atome d’uranium rejette mais en le transformant en jaune (comme expliqué ci-dessous *). Ainsi notre œil perçoit que l’objet émet bien plus de jaune que ce que la lumière visible peut normalement lui procurer. Il est « jaune fluo ».

*  Si l’électron ne peut pas s'élever à une orbitale stable avec l’énergie du photon arrivant, alors l’électron peut parfois retomber à son état initial en deux fois. Dans ce cas, il émet un photon de moindre énergie = d’une autre couleur que le photon arrivant, (puis il dissipe le reste d’énergie en infra rouge).


Et sur ce même principe, si l’électron met longtemps à retomber à son état initial, et donc, met longtemps à renvoyer des photons (pour dissiper l’énergie acquise par la lumière), alors nous assistons à un phénomène de phosphorescence. Les verres phosphorescents vendus aujourd'hui ne contiennent plus d'élément radioactif. 



9/ Le verre dichroïque :

verre dichroïque Le verre dichroïque Le verre dichroïque

Image de gauche = état initial, puis 2 changements de couleurs à cause de deux raisons différentes (dessins de droites)
-    Cas du dessin en haut à droite: si la profondeur de double réflexion est plus fin, alors les photons parcourent une distance plus courte dans le matériau.  Par conséquent, en sortie de matériau, le photon ne ressort pas au même moment de sa vibration que dans le schéma  de gauche.
-         Cas du dessin en bas à droite: en changeant la position: en augmentant l’angle de la source de lumière & de l’observateur : alors la distance que le photon parcourt dans le matériau est plus longue. Par conséquent, en sortie de matériaux, le photon ne ressort pas au même moment de sa vibration que dans le schéma de gauche. Ainsi dans ce schéma du bas, les photos (vibrations) rouges réfléchies en surface et celles réfléchies en profondeur sont exactement en opposition : elles s’annulent, nous ne les voyons pas en regardant l’objet. Par contre, c’est différent pour les photons bleus.  Les photons bleus réfléchis en surface et ceux réfléchis en profondeur ne se retrouvent pas en opposition. Nous les voyons.



C'était le résumé de la conférence "Formuler la couleur dans le verre" donnée à Sars Poterie
lors des 6 ème "Journées de la Perles de Verre", le 14 Septembre 2013 , par
Laurent Dapolito